Ce topic est garanti “Gentil Graphiste free”.
“L’Affaire Tournesol” est-il le meilleur album de Tintin ?
J’ai relu L’affaire Tournesol récemment et, foin de considérations trop subjectives, je suis émerveillé par le travail réalisé autour de cet ouvrage. Emerveillé au point de défendre sa candidature au titre officieux de “meilleur album de Tintin”, sachant qu’il m’apparait incontestablement comme l’un des cinq meilleurs albums de Tintin. On a, par ordre chronologique :
1/ Le Lotus Bleu pour son importance historique et son influence stylistique
2/ Le Temple du Soleil édition originale à l’Italienne pour sa conception méticuleuse et son sens du détail ethnologique
3/ Le dyptique Lune pour son avant-gardisme scientifique et des traces embryonnaires de l’évolution future de la série
4/ Tournesol dont nous parlerons en long et en large dans ce topic (mis en italique quand je parle de l’album et non du perso)
5/ Les Bijoux de la Castafiore pour sa perfection ne vivant que sur et par le travail fait dans les autres albums ; travail qui se trouve décortiqué, contesté et parodié dans Les Bijoux. Un angle certes réutilisé par la suite avec plus ou moins de réussite dans 714 et Picaros, mais dont les qualités n’auraient quoi qu’il en soit jamais été présentes sans Les Bijoux.
Alors pourquoi défendre Tournesol en particulier ? Parce qu’à mon avis Tournesol représente tout le meilleur d’une aventure de Tintin. On ne pourra que lui reprocher qu’un certain manque d’exotisme, et celui-ci est parfaitement explicable quand on remarque la place chronologique de Tournesol dans les albums de Tintin. Publié à l’apex d’hergé (juste après les Lune), Tournesol initie une succession d’albums de très haute tenue, sans doute la meilleure période d’hergé (Tournesol, Coke, Tibet et Bijoux). Les albums publiés à cette époque possèdent de nombreux points communs :
- la perte de l’innocence de Tintin (prise de conscience politique, parti-pris idéologiques plus revendiqués et mieux argumentés, humanisation des méchants, on ne part plus à l’aventure “pour partir à l’aventure”)
- La mise en avant des personnages secondaires (via la création de personnages comme Szüt et Lampion, et la réutilisation plus intelligente d’anciens personnages - sans parler d’albums ouvertement consacrés à un personnage secondaire)
- La self-consciousness de Tintin (beaucoup plus de dérision, d’auto-référence et de contre-pieds scénaristiques dans les scénarii d’Hergé)
Tournesol est non seulement le premier épisode à réunir toutes ces caractéristiques, mais c’est également l’épisode le plus réussi du capitaine Haddock. On pense plus volontiers à ses prestations dans On a marché sur la Lune et dans Les Bijoux, mais il n’a jamais été aussi utile et prépondérant dans la réussite d’un album que dans Tournesol. Il n’y a pas une seule planche dans laquelle il ne serve à dédramatiser ou intensifier l’histoire pour prendre le lecteur à contre-pied : je pense notamment à la scène du tourniquet de l’hotel, au produit anti-moustique devant l’ambassade, au running gag du sparadrap et surtout à sa performance phénoménale pendant la conversation Tintin/Topolino - sans doute sa meilleure scène tous Tintins confondus. C’est sans doute un des facteurs de la très grande maîtrise narrative de l’album, peut-être ce qu’a fait Hergé de plus abouti en matière de script. C’est rempli de courses-poursuites haletantes, de temps mort bien trouvés, de spins narratifs et de gags dignes des meilleurs slapsticks, tout en abordant subtilement un sujet d’actualité (la guerre froide) et en parvenant à tourner le sujet (et l’oeuvre elle-même !) en ridicule via sa fin tournant volontairement en eau de boudin (Tournesol avait oublié les microfilms sur sa table de nuit).
Donc voilà, pour son influence sur les albums suivants et sa maîtrise narrative inégalée dans un Tintin, je vote Tournesol.
Vos avis, chers collègues ?